Katherine Routledge
Katherine Scoresby Routledge, née Katherine Maria Pease le à Darlington et décédée le 13 décembre 1935, est une archéologue et anthropologue britannique. Elle est pionnière en 1914 des premières fouilles significatives, bien qu'inachevées, de l'Île de Pâques. Née dans une famille quaker aisée, Katherine développe une curiosité scientifique précoce et une aspiration à des opportunités éducatives équivalentes à celles de ses homologues masculins. Après des études au Somerville College d'Oxford et des années d'enseignement, elle épouse William Scoresby Routledge en 1906.

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Décès |
(à 69 ans) Cambridge |
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Gurney Pease (d) |
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Katherine Wilson (d) |
Conjoint |

Le couple entreprend un voyage en Afrique orientale britannique, où Katherine perfectionne ses compétences ethnographiques. En 1910, ils publient conjointement un livre basé sur leurs recherches. Cependant, le couple est surtout connu pour l'Expédition Mana vers l'Île de Pâques en 1914. Katherine, co-dirige l'expédition et documente ses découvertes, contribuant ainsi à la préservation de la culture polynésienne des Rapa Nui. L'expédition prend fin en 1914 et Kathrine publie The Mystery of Easter Island en 1919. Elle est atteinte de schizophrénie et sa santé mentale se dégrade fortement après 1925. Elle est internée en 1929 et meurt le à l'âge de 69 ans.
En dépit de ses troubles de santé, Katherine Routledge laisse à la postérité un héritage significatif dans le domaine de l'archéologie, particulièrement pour sa compréhension des Moaï et sa récolte de données ethnographiques qui offre une première approche de l'Histoire de l'île de Pâques. Son travail, initialement sous-estimé, est reconnu ultérieurement grâce à la redécouverte de ses archives, ce qui en fait un exemple majeur de l'Effet Matilda dans le domaine de la recherche archéologique.
Biographie
Famille Pease
Katherine nait le 11 août 1866 à Darlington. Elle est le deuxième enfant et fille aînée de Kate et Gurney Pease, le quatrième fils d'une riche famille quaker[a 1],[1],[2]. Ses frères et soeurs sont Harold Gurney Pease, né le 18 août 1864, Wilson (Willie) Pease, né le 9 novembre 1867, Lilian (Lil), née le 21 mars 1869, et John Henry (Jack), né le 6 novembre 1871[a 2]. Son petit frère, Wilson, deviendra son confident[a 3].

La famille Pease, au sein de laquelle évolue Katherine Routledge, est régie par Joseph Pease, son grand-père. Ce dernier parvient à consolider une importante fortune au travers d'entreprises de la révolution industrielle[a 4]. Ce niveau de vie leur permet de voyager et ils passent notamment leurs vacances en bord de mer le long de la côte de Land's End. Katherine nourrit un fort intérêt pour les sites mégalithiques des Îles Scilly ainsi que pour le folklore et les légendes qui l'entourent[a 5]. Cet intérêt pour la beauté naturelle et les éléments anciens, Katherine le doit probablement à Joseph Pease qui invite ses petits enfants à les apprécier en comparaison à l'environnement bruyant, enfumé et pollué des mines dans lesquelles sa famille investit[a 6].
Joseph Pease aura une influence directe sur la personnalité de Katherine et deviendra une forme de modèle moral et le principal modèle paternel tant ce dernier s'investit dans les affaires familiales de ses parents. De nombreuses décisions familiales prennent racine dans les volonté de Joseph Pease, jusqu'à son décès en 1872[a 7].
Environnement religieux
Le contexte familial dans lequel se trouve Katherine baigne dans le spiritualisme et l'occultisme. Tout voyage familial est propice au développement de la perception spirituelle des enfants. Ainsi, Jo Anne Van Tilburg mentionne un séjour en Écosse qui témoigne de cela. Durant le trajet, leur mère et leur tante Jane évoquent des mythes et légendes parlant d'esprits et de gobelins avant de terminer par une conjuration des fantômes de membres de la famille Pease qui hanteraient les collines d'Écosse[a 8].
Cet environnement religieux donne à Katherine un sens aigu de l'importance de l'histoire familiale et un respect féroce de l'individu et de la propriété tout en l'immergeant dans l'occultisme[a 1]. Plus tard, elle s'investit d'ailleurs dans le spiritualisme au cours de ses années à Oxford et pratique l'écriture automatique[a 9]. Cependant, ces récits ont également pour conséquence de nourrir son imagination, sa créativité, ainsi qu'une schizophrénie latente qui l'amènera à entendre des voix durant toute sa vie[a 2].
Troubles familiaux

La dynamique familiale au sein du foyer est rythmée par les phases dépressives et spiritualistes de Gurney Pease, le père de Katherine, ainsi que par les comportements violents imprévisibles d'Harold, le frère aîné de Katherine[a 10]. Gurney est professeur de l'École du dimanche, puis superintendant de l'école quaker de Darlington. Cependant, il doit ensuite prendre en charge la supervision de la mine de fer de Hutton par obligation familiale. Cette situation l'affecte fortement sur le plan mental et physique. Il est parfois alité durant des semaines[a 10].
Les six premières années de Katherine s'effectuent souvent en dehors du cocon familial car ses parents effectuent des séjours sanitaires afin de soigner les maux de Gurney. Les enfants sont généralement pris en charge par leur nourrice, Mme Hopper, en l'absence de leurs parents. Cette situation provoque des conflits entre frères et soeurs qui cherchent l'attention de leur mère, et celle-ci transforme la situation en une forme de compétition. Cette situation affecte très fortement le développement de Katherine qui ne parvient pas à identifier sa place au sein de la famille[a 11].
Harold, le grand frère de Katherine est un enfant complexe au tempérament pouvant alterner entre timidité et agressivité soudaine[a 12]. Il souffrait probablement de schizophrénie infantile, une pathologie que la famille Pease disent héréditaire[a 13]. Particulièrement hostile envers les personnes étrangères à sa famille, et avec un tempérament social particulier, il développe au sein de sa fratrie un langage secret. Son agressivité se tourne souvent contre sa mère, que ce soit verbalement ou physiquement. La mise en compétition par Kate Wilson de ses enfants redirige cette agressivité vers Katherine qui s'en défend. Cependant, lorsqu'elle demande à ses parents d'intervenir, ceux-ci refusent. Cette situation pousse Katherine à faire preuve d'intelligence et de force pour pouvoir se défendre des injustices et dangers[a 14].
En 1869, Kate Wilson, la mère de Katherine, fait face à un effondrement mental à la suite de la naissance de Lily. Les médecins lui imposent du repos et un éloignement de ses enfants. Lorsqu'elle revient de ce séjour, elle se trouve devant une nouvelle situation de crise familiale. Katherine a la scarlatine, une très forte fièvre, et ses frères et soeurs tombent à leur tour malade. Bien que les enfants en réchappent, l'état de santé de Katherine a été le plus grave et altère probablement son développement cérébral. Il pourrait être à l'origine d'hallucinations, de voix et de perceptions qui l'accompagneront toute sa vie[a 15].
Décès de Gurney Pease

En juin 1871, Gurney Pease décide de faire déménager toute la famille au sein du château de Walworth afin de s'éloigner de l'emprise familiale des Pease et permettre à la famille de « prendre l'air afin de prendre soin de leur santé délicate ». Au sein du château, la famille aura un dernier enfant. Cependant, le 8 février 1872, la mort de Joseph Pease provoque un nouveau drame. Gurney est si affecté qu'il plonge dans une dépression suicidaire. Il meurt le 11 juin 1872 et toute la famille rejoint les tantes Jane et Emma à Darlington[a 15].
Le décès de Gurney affecte la manière d'éduquer de sa mère[a 16] et les cycles de violence d'Harold s'amplifient, si bien qu'il est mis à l'écart de la famille durant des semaines[a 17]. Katherine développe un tempérament qui se caractérise par un besoin constant de s'exprimer, souvent de façon directe et autoritaire, qu'elle s'évertue à réprimer afin de préserver sa position privilégiée au sein de la famille[a 16].
En l'absence de père, la présence du cercle élargi de la famille est plus importante[a 3]. Les enfants sont pris sous l'aile de Joseph et Arthur Pease qui ne tardent pas à les reloger dans le manoir Woodside de Darlington. Les voisins directs du manoirs sont les tantes Emma et Jane. Le manoir n'est alors pas en bon état et Joseph entreprend de nombreuses adaptations architecturales. La mère de Katherine reste distante envers ses enfants et s'emporte lorsque la famille Pease se mêle de leur vie familiale. Sa santé mentale reste fragile, si bien qu'en 1878 elle sombre dans une nouvelle dépression[a 18].
Le manoir Woodside marque profondément Katherine puisqu'il représente un repère stable dans sa vie. Sa pièce préférée est la bibliothèque dans laquelle elle découvre les ouvrages de Charles Dickens, Charles Kingsley, Frederick Marryat, ainsi que les récits de voyage de James Cook et Charles Darwin. L'intérêt débordant pour les livres amuse sa mère qui admet qu' « il s'agit du genre de livres que j'aimerais lire si j'étais intéressée par la lecture »[a 19].
Selon Jo Anne Van Tilburg, Katherine développe une forte curiosité scientifique et veut avoir les mêmes opportunités qu'ont eu ses frères, oncles et cousins, ce qui la pousse à suivre une voie inhabituelle à l'époque victorienne. Elle cite Katherine à ce propos : « J'ai eu la malchance de naître femme avec des ambitions d'homme ». Katherine se considère alors comme une seeker (quaker) (en), selon la tradition quaker dans laquelle elle est éduquée, ce qui l'amène à rechercher des expériences spirituelles dans le contexte de la découverte intellectuelle[a 20].
Éducation à Woodside

À Woodside, ses tantes Emma et Jane influencent fortement Katherine. La première marque Katherine par ses habitudes intellectuelles et sa façon de rédiger ses journaux, mais c'est également cette tante qui l'encourage à poursuivre ses études à Oxford[a 3]. La seconde se dévoue à une vie spirituelle et transmet les dogmes quaker à Katherine. Elle prétend pouvoir communiquer avec les défunts[a 21].
Durant son enfance, Katherine est encadrée par des professeurs particuliers qui la guident dans ses études de l'art, de l'histoire, de l'architecture, de la géographie et des mathématiques. Cependant, ils ne parviennent pas à prodiguer un enseignement capable de répondre aux attentes de Katherine. Elle développe une excellente élocution avec un niveau de vocabulaire très élevé[a 22]. Sa mère lui apprend également la gestion d'un foyer, de ses finances et de ses domestiques ainsi que des tâches normalement dévolue au père de famille, ce qui représente un atout pour son émancipation future[a 23]. C'est à l'âge de douze ans qu'elle fait part à sa mère de son souhait d'intégrer une université plus tard, une suggestion radicale pour la période[a 24].
Elle suit des cours au Sevenoaks School de ses 13 à 16 ans, ou de ses 16 à 18 ans. Les registres n'ont pas survécu pour confirmer la période. Elle envie le parcours de son cousin Harold qui suit des cours à Cambridge malgré de moins bons résultats scolaires[a 25]. Cependant, Woodside et l'emprise de la famille Pease réduisent les possibilités d'avenir pour Katherine qui annonce vouloir continuer ses études à un niveau supérieur. La décision est mal perçue au sein de la famille Pease et elle déménage dix jours plus tard avec sa mère en janvier 1891 pour s'installer à Oxford[a 26].
Oxford et le Somerville Hall

En octobre 1891, son examen d'entrée est accepté au Somerville Hall (actuel Somerville College) en histoire moderne[a 26],[a 27]. La formation universitaire pour les femmes est une décision radicale à l'ère victorienne qui a un impact sur leur capacité à se marier. En effet, prétextant une fragilité physique et émotionnelle, les hommes de la classe moyenne considèrent que les jeunes étudiantes s'éloignent de leur vocation d'épouse et de mère ainsi que de leurs devoirs domestiques. Afin d'esquiver ces préjugés, le Somerville Hall pour femme est présenté comme une extension de l'éducation de base dans laquelle les étudiantes sont hébergées et où les us et coutumes victoriennes s'appliquent[a 27]. Le témoignage de son frère, lors d'une visite en 1891, est clair[a 28] :
« Les étudiantes sont plus présentables que je ne le pensais. [...] Quand les femmes descendent de leur piédestal de raffinement silencieux et se bousculent dans la foule des hommes, elles ne doivent plus s'attendre à être adulées. »
L'arrivée de Katherine coïncide avec une période importante pour le droit des femmes puisque les femmes y sont admises depuis cette même année. Elles peuvent passer les mêmes examens que les hommes, mais leurs diplômes ne sont pas délivrés[a 29],[1]. Elle intègre Somerville aux côtés de vingt autres étudiantes et se lie d'amitié avec certaines d'entre elles comme Cornelia Sorabji et Ethel Hurlbatt[a 30]. Durant ces études, Katherine s'engage dans le féminisme tout en devant respecter les codes de conduite féminine de l'ère victorienne[a 30].
Elle est fortement inspirée par son professeur Robert Ranulph Marett qui devient son mentor et conseiller professionnel le plus proche. Ses apprentissages renforcent sa conviction que l'équité homme-femme représente une clé fondamentale des réformes de la société. Elle intègre également les théories de Marett sur les religions primitives ainsi que les cultes polynésiens et le concept de mana qui l'inspirera quelques années plus tard pour nommer son expédition vers l'Île de Pâques. Elle se lie également d'amitié avec le professeur de zoologie Edward Bagnall Poulton, fraichement arrivé à l'université en 1893. Malheureusement, malgré le soutien de ses professeurs, Katherine ne peut pas étudier l'anthropologie dont les premiers diplômes d'Oxford ne seront délivrés qu'en 1908[a 31]
Malgré l'absence de diplôme, Oxford prépare intellectuellement Katherine et les contacts qu'elle s'y fait deviendront indispensables à la réussite de ses projets anthropologiques et archéologiques. Elle réalise également à Oxford son aisance linguistique, ainsi que sa capacité à échanger avec des individus quel que soit leur rang social[a 32]. Malheureusement, en 1894, après une succession d'événements familiaux incluant la mort de sa tante Jane et l'enfermement de son frère Harold en hôpital à cause de sa schizophrénie, Katherine met en pause ses études à Oxford[a 33]. En 1895, elle les achève et reçoit ses résultats d'examens d'Histoire moderne : Honors 2nd Class[note 1]. Sur les vingt étudiantes de sa promotion, aucune ne reçoit de note supérieure à cela. Malheureusement, elle doit faire face à une autre déception car le comité refuse la pétition des étudiantes demandant l'octroi d'un diplômes[a 34]. Bien plus tard, en 1906, Katherine obtiendra son diplôme au Trinity College de Dublin[a 35],[1]. Elle revient également à Oxford à l'automne 1911 à la suite de l'ouverture aux femmes des diplômes d'anthropologie, cependant elle n'y passe que peu de temps car elle planifie son expédition pour l'Île de Pâques[a 36].
Emancipation de l'emprise familiale

Au terme de ses études, elle retourne à Darlington et devient professeur d'Histoire au sein de l'Extended Division et au Darlington Training College. En parallèle, la vie familiale est perturbée par la situation de son frère aîné, Harold, toujours interné à Charleton et qui les supplie par courrier de « venir le secourir ». En effet, sa santé mentale semble s'être améliorée et Katherine aide son frère à réintégrer la vie sociale. En septembre 1896, celui-ci se marie et met un terme aux préoccupations de sa soeur[a 37].
En recherche d'indépendance, elle finit par annoncer son départ définitif de Woodside et de Darlington en juillet 1898. Avec la vente de son logement, elle parvient à s'assurer une indépendance financière et s'installe dans un appartement du Queen Anne's Mansions (en) à Londres, face au St James's Park. Elle y rejoint le Ladies Empire Club (en) et devient active au sein du mouvement des suffragette. Elle y retrouve Eliza Lyle McAllum, une amie qu'elle connait depuis 1893 et qui partage sa vision de l'intimité[a 38]. Sa lutte pour les droits des femmes continue de s'observer dans le temps, comme lors du Women's Sunday[a 39].
En effet, au début de leur amitié, elles avaient formé avec humour la Sensible Women's League dont ses deux membres, elles-mêmes, ne se vouaient qu'à nouer des relations platoniques car « aucune femme, ne pouvait être à la fois une personne libre et un être sexuel ». Dans la promotion du Somerville Hall, la proximité entre les étudiantes est forte, incluant de l'attraction homosexuelle. La vie commune de Katherine et Eliza pourraient laisser supposer qu'elles soient amantes, cependant les nombreuses lettres échangées au fil des ans n'ont jamais permis de le confirmer[a 38].
Premier voyage
À Londres, elle se rapproche de la South African Colonization Society fondée par des femmes à l'aube de la seconde guerre des Boers. L'objectif de l'organisation est d'envoyer des femmes respectables dans les colonies afin d'« apporter les effets de la civilisations dans les colonies »[a 28]. Le 3 mai 1902, Katherine rejoint une mission de l'organisation et se rend à la colonie du Cap en Afrique du Sud. Durant cinq mois, elle enquête sur l'état de l'intégration de ces femmes britanniques célibataires envoyées à la colonie[a 9],[2]. Lors de son séjour, elle rencontre Robert Baden-Powell et Alfred Milner avec qui elle entretient des correspondances plusieurs années, même durant son séjour sur l'Île de Pâques[a 40]. Quelques mois plus tard, elle tombe gravement malade et son état de santé nécessite une hospitalisation. Les médecins diagnostiquent une grippe, cependant Katherine se convainc qu'elle souffre de paludisme. En effet, elle garde en souvenir cette maladie contractée par ses frères Wilson et Harold lors de leur séjour en Inde. Elle guérit lentement et décide de rentrer en Angleterre. Elle retournera en Afrique du Sud en 1903[a 41].
Mariage avec William Scoresby

Tandis que Katherine est en mission en Afrique du Sud, William Scoresby Routledge se trouve en Afrique orientale britannique (aujourd'hui Kenya)[a 42]. Il occupe un campement à Nyeri depuis lequel il effectue de nombreuses photographies et se mêle aux Kikuyus[a 43]. À son retour à Londres, en 1905, il est élu membre du Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland pour lequel il présente un groupe de 38 objets ethnographiques issus de son voyage[a 44].
Par l'intermédiaire de connaissances d'Oxford, il rencontre Katherine. Le 1er avril 1906, à Naples, William Scoresby demande en mariage Katherine. Elle quitte finalement Naples sans lui donner de réponse à cause de l'éruption du Vésuve qu'elle perçoit comme un mauvais présage[a 45]. Quelques semaines plus tard, ils se revoient à Toys Hill et elle accepte sa demande malgré le scepticisme de ses proches[a 46]. En effet, le niveau social de la famille Routledge n'équivaut pas à celui des Pease. C'est pourquoi Wilson Pease exige une dot de 20 000 £. La famille Routledge admet facilement que William cherche à épouser une femme riche qui souhaite voyager[a 35]. Le 6 août 1906, ils se marient à la Skinnergate Quaker Meeting House de Darlington[a 35],[1].
Grâce à ce mariage, Katherine a la conviction de pouvoir se libérer complètement de l'emprise familiale. William Scoresby correspond au compagnon platonique partageant les mêmes ambitions sociales et intellectuelles. Il s'agit de « l'idéal Oxfordien » qu'elle s'était représenté durant ses études[a 35]. Ils mènent ensemble plusieurs expéditions.
Fin de vie
Après 1925, sa schizophrénie s'aggrave et se manifeste sous la forme d'une paranoïa délirante[3]. Au sein de sa famille, il se dit que sa rencontre avec Angata, qu'ils surnomment witch doctor (en), en est la cause. Elle force notamment son époux à quitter le manoir de Hyde Park dans lequel ils vivaient, jette ses affaires dans la rue et se barricade à l'intérieur. Elle se met également à cacher ses notes de terrain en plusieurs endroits, si bien que plusieurs sont perdues selon William[4]. En 1929, avec l'accord de la famille, William Scoresby intervient de force avec une équipe de docteurs afin de la placer dans un établissement psychiatrique. On l'interne au Ticehurst House Hospital (en) dans le Sussex où elle meurt le 13 décembre 1935 d'une thrombose cérébrale[2],[3],[1]. Elle est ensuite incinérée, conformément aux instructions de son testament, et ne possède aucun monument commémoratif en son honneur[1]. Dans son autobiographie publiée en 1931, Robert Ranulph Marrett indique que Katherine est « l'une des huit anthropologistes féminines dont l'école d'Oxford est particulièrement fière »[a 32].
Expéditions
Afrique orientale britannique

Le 11 décembre 1906, soit seulement quatre mois après leur mariage, Katherine et William partent en direction de Mombasa afin de rejoindre Nyeri. Ils projettent d'y vivre deux ans et organisent leur séjour sous forme d'expédition scientifique. En effet, Thomas Athol Joyce (en) avait vivement encouragé William Scoresby à effectuer la collecte d'artéfacts Kikuyus pour le British Museum[a 47]. Katherine ne démontre pas d'intérêt envers ces artéfacts, cependant, lorsque William lui présente son contact Kikuyu, elle se dévoile des talents d'ethnographes et une passion pour ce sujet[a 47].
Après une période d'entrainement à la tenue d'un campement composé de tentes, une première pour Katherine, le couple se rend finalement à Nyeri. Cette ville fourmille à l'époque de communautés diverses : chasseurs de trophées, africains en quête de travail et commerçants indiens[a 48]. Les paysages de la région et en particulier le Mont Kenya émerveillent Katherine qui à l'impression que « la sensation de paix, d'espace et de liberté parvient, de façon mystérieuse, à trouver son chemin en chacun »[a 49].

La manière d'appréhender cette expédition révèle les compétences de Katherine lors des interactions avec les tribus locales[a 50]. Elle s'intègre aux activités et n'hésite pas à élever des chèvres ou faire du travail agricole. Cette vie, à la frontière des colonies britanniques, les amène à vivre directement aux côtés des Kikuyus[a 48]. Katherine accompagne les jeunes femmes afin de les aider aux plantations, ce qui lui permet de briser de nombreuses barrières culturelles. Les Kikuyus l'autorisent par exemple à observer certaines pratiques rituelles, notamment celle de la circoncision[a 51].
Tandis que William Scoresby se concentre sur les artefacts et les savoir-faire locaux, notamment en matière de métallurgie, Katherine perfectionne ses compétences ethnographiques en observant l'organisation sociale et en échangeant avec les femmes. Elle est en mesure de dessiner les fondement d'une organisation politique tribale[a 52],[a 53],[5].

Cependant, le climat politique au sein du district de Nyeri est tendue à cause de l'affaire Silberrad, du nom du commissaire de district, qui inclue de la prostitution enfantine et du trafic humain. L'incident se produit en 1908 et Katherine accompagne les actions et dénonciations de William. Elle intervient même directement au domicile d'Hubert Silberrad afin d'aider plusieurs fils de douze et treize ans à s'échapper. L'affaire sera portée au Parlement[a 39].
Au printemps 1908, le couple revient à Londres et participent à des congrès et conférence pour exposer le fruit de leurs recherche[a 54]. Ce travail de récolte est ensuite transféré au British Museum et au Pitt Rivers Museum[5]. En 1910, ils publient conjointement un livre sur leurs recherches intitulé With A Prehistoric People[2],[a 55]. L'accueil de cette publication est très bon[4] et souligne l'importance de la documentation des traditions orales[5]. De plus, la présentation d'auteur dans le livre met particulièrement en valeur les actions individuelles de chacun au sein du couple, valorisant particulièrement les contributions effectuées par Katherine[a 54]. Cependant, la qualité scientifique de l'ouvrage reste limité par l'absence d'expérience ou de formation anthropologique au sein du couple. Certaines critiques pointent notamment les méconnaissances des auteurs sur des sujets abordés dans le livre tel que l'exogamie ou le totémisme[a 54].
Préparatifs

Après leur retour en Angleterre, le couple s'installe à proximité de Southampton et se rapproche de plusieurs personnalités du British Museum comme Thomas Athol Joyce (en), conservateur. Ce dernier convainc d'abord William Scoresby de l'intérêt d'une expédition sur l'Île de Pâques afin d'élucider le mystère de l'écriture rongorongo. Ce dernier recherche une aventure médiatisée et se laisse convaincre par l'idée d'amener un Moaï[a 56]. Katherine se montre également enthousiaste après avoir découvert la statue Hoa Hakananai'a exposée au British Museum. Le couple est décidé à mener cette expédition et commence à en dessiner les grandes lignes en posant quatre questions[a 57] :
« Quel est le peuple à l'origine du premier peuplement de l'île ? D'où viennent-ils et de quand date leur arrivée ? Que signifient les statues ? De quelle manière ces statues sont-elles reliées aux habitants de l'île ? »
Katherine excelle dans les nombreuses démarches administratives relative à l'organisation d'une expédition scientifique internationale. Elle sollicite le soutien de nombreux contacts et parvient à obtenir des fonds ainsi que le soutien de l'université d'Oxford grâce à son ancien professeur R. R. Marett. Elle n'hésite pas à se rendre à Londres au sein des locaux du Ladies Empire Club (en) ou de la Royal Geographical Society pour obtenir d'autres soutiens ou faire l'acquisition d'ouvrages de références à emporter durant le voyage. La British Association for the Advancement of Science marque également son soutien. Les études préliminaires des ouvrages relatifs à l'Île de Pâques ne permettent pas à Katherine de déterminer exactement l'ampleur des recherches à effectuer[a 58].
Les données maritimes lui permettent de préparer convenablement le voyage à effectuer, ainsi que les zones dangereuses à éviter. Cependant, son enquête sur les coutumes, les arts et langages océaniens ne lui permettent pas d'en apprendre plus sur les habitants de l'Île de Paques. En effet, après avoir consulté l'ensemble des rapports allant des premiers missionnaires chrétiens de Tahiti et d'Hawai en 1722 jusqu'à l'expédition espagnole de Felipe González de Ahedo, elle n'obtient que des informations parcellaires. Pourtant, les pascuans font face à plusieurs périodes de violences provoquées par les Européens comme en 1805 lorsque les premières captures d'esclaves se produisent. Durant l'époque guano, des navires esclavagistes accostent sur l'île. Entre 1862 et 1863, entre vingt et trente navire kidnappent environ 1500 habitants afin de rejoindre les excavations de guano[a 59]. Cependant, Katherine ne peut pas avoir connaissance de ces aspects sordides de la colonisation qui se retrouvent dans des rapports en français auxquels elle n'accèdera qu'en 1917[a 60].
Après avoir envisagé l'achat d'une sloop, le couple décide de faire construire leur propre navire et de recruter un équipage ainsi qu'un officier emprunté à la Royal Navy. En 1911, malgré l'objection de ses proches, Katherine utilises ses propres fonds pour une goélette de 90m. Charles Nicholson, concepteur maritime, prend en charge le projet. Le chantier prend du retard à cause de l'obsession de William pour certains détails. Ils font renforcer l'ensemble de la coque par précaution à la suite du naufrage du Titanic survenu en avril 1912. Enfin, à la fin du mois de mai 1912, le navire est prêt à être mis à l'eau. Ils le baptisent Mana (en polynésien : mana signifie « pouvoir spirituel »[4]), donnant son nom à l'expédition[a 61].
Trajet

Après plusieurs mois d'attente, le Mana quitte Falmouth le 25 mars 1913[a 62]. Cependant, le voyage ne se déroule pas sans heurt. Après avoir dépassé Gibraltar, William prend des décisions qui déplaisent fortement à l'équipage. Lors de leur escale sur les Îles Canaries, Katherine vérifie la qualité et les dépenses effectuées sur l'approvisionnement en légumes frais. Cette situation attise la colère d'O. G. S. Crawford, le seul scientifique de l'expédition qui accuse le couple de faire preuve d'« avarice déplorable » et juge que William Scoresby n'est qu'un imposteur[a 63]. En conséquence, la tension augmente sur le trajet vers le Cap Vert, malgré les tentatives de médiation de Katherine qui ne veut pas voir le seul scientifique partir. Hélas, à São Vicente, son mari ordonne à Crawford de quitter le navire[a 64].
L'avenir de l'expédition est compromis et Katherine profite d'une escale pour envoyer un courrier à son mentor R. R. Marett afin de trouver et leur envoyer un scientifique remplaçant. Ce dernier lui répond qu'elle est parfaitement à même de prendre en charge la mission scientifique de l'expédition[a 64]. L'animosité entre William et Crawford découlera sur Katherine par la suite. Elle ne citera jamais son travail tandis que ce dernier qualifiera l'expédition Mana de « fiasco archéologique »[a 65].
Le 17 août, le Mana accoste au port de Buenos Aires et Katherine s'absente en ville pour effectuer différents achats. William profite de cette absence pour organiser une conférence de presse au sein du bateau. Elle le découvre en lisant les gros titres des journaux locaux qui ne mettent en avant que son mari, sans aucune mention de Katherine. Piquée dans sa fierté, elle s'est sentie profondément insultée. Elle confronte son mari à ce sujet et l'accuse des nombreux problèmes au sein de l'équipage, mettant en péril le succès de l'expédition[a 66]. Ils parviennent à mettre de côté leurs différents et dépassent le Détroit de Magellan le 15 octobre 1913. Malheureusement, une avarie force le Mana à s'arrêter à Punta Arenas afin d'y effectuer des réparations. Katherine profite de cet arrêt pour prendre des leçons d'espagnol[a 67]. Cet arrêt provoque le départ de plusieurs membres d'équipage[a 68].
Le 30 novembre, l'équipage réduit reprend le trajet et se rend en direction d'un îlot nommé Lobo Arm dans l'Île Desolación et y découvrent une nouvelle voie maritime pour la traverser. Aujourd'hui encore, cette voie porte le nom de Canal Mana[6],[a 69]. L'expédition prendra encore de nombreux retards et son équipage continuera de diminuer. L'abandon de l'expédition n'est toutefois pas envisagé[a 70].
Elle tient un journal de bord de l'expédition et de l'ensemble des découvertes qui ne seront exploités qu'après 1987[4]. Avant son départ, elle se renseigne auprès d'un ancien camarade de classe d'Oxford, Robert Ranulph Marett, sur les méthodes à employer pour les excavations. En effet, Katherine n'a aucune formation d'archéologue[a 32].
Rapa Nui
[2], Katherine et l'équipage du Mana atteignent l'île. Dès leur arrivée, ils sont accosté avec enthousiasme par quelques pêcheurs pascuans avant de rejoindre leur contact local, Percy Edmunds[a 71]. En quelques lignes, elle évoque son ressenti en découvrant cette île[7] :
« Les géants de pierre, et les morts fidèles sur lesquels ils veillent, ne sont jamais sans musique tandis que d'innombrables vagues se jettent sur le rivage de galets, répandant sur les personnages un nuage de brume et d'embruns. »

La situation sur l'île est tendue et la population Rapa Nui ne s'élève plus qu'à 250 habitants confinés à Hanga Roa, soumis à des dettes esclavagistes par les entreprises du Chili. Il ne reste que quelques personnes âgées atteints de la lèpre susceptibles de connaître leur histoire[a 72].
Dès le début de leur expédition, le couple se concentre sur l'observation des emplacements des Moaï[a 73]. Afin de compléter convenablement ses plans, Katherine interroge son premier guide sur les différentes dénominations en rapanui, mais ce dernier n'est pas originaire de l'île et n'en a pas connaissance. Elle conclue que ses recherches archéologiques doivent être accompagnées d'un guide pascuan et commence à entrer en contact avec les habitants de Hanga Roa afin de gagner leur confiance, comme elle y était parvenu en Afrique avec les Kikuyus[a 74].
Katherine se concentre alors sur la préservation de cette mémoire vivante avec l'aide d'un insulaire nommé Juan Tepano (en)[4],[a 72]. L'homme fait le pont entre les Européens de l'expéditions, situés aux abords de la ferme Mataveri, et les pascuans confinés à Hanga Roa. Il ne sait rien des raisons de leur présence[a 75]. Elle l'aide à améliorer son anglais et il lui apprend le rapanui[a 76]. Afin de maximiser la récolte d'information, ils développent à deux une forme d'échange mutuel d'informations entre les habitants et les découvertes de Katherine durant son séjour. Elle présente dès lors tout document à Juan Tepano et l'investit directement dans ses recherches afin qu'il puisse les restituer[5].
Katherine souligne que le véritable succès de l'expédition ne réside pas dans ses observations, mais probablement plus dans « l'intelligence d'un seul individu connu sous le nom de Juan Tepano »[a 77].

Sur le site de Orongo, Katherine parvient à classifier les différents pétroglyphes et met au jour une centaine de sculptures en pierre représentant ce qu'elle appelle d'abord « des canards ». Ces effigies représentant en réalité tangata manu dont elle découvrira et décrira le mythe ensuite. Elle tente également d'identifier parmi les différentes maisons du site celle qui est liée à Hoa Hakananai'a. Cependant, sa compréhension reste fragmentaire jusqu'à ce qu'elle rencontre Victoria Veriamu, la mère de Juan Tepano[a 78].
Cette dernière vivait lorsque la statue est extraite d'Orongo. son témoignage lui permet de confirmer que les anglais ont tout d'abord détruit la maison de pierre dans laquelle se trouvait la statue avant de l'en extirper. Ce geste avait marqué les habitants, expliquant leur réticence initiale à aider Katherine dans ses recherches sur le site. Grâce à ce témoignage, Katherine appuie son hypothèse contrairement à l'idée selon laquelle toutes les statues Moaï sont dressées à même le sol. Après cela, elle apportera une photographie de Hoa Hakananai'a jusque dans la maison qui lui est attribuée afin de le restituer symboliquement. Ce geste lui permet de gagner le respect des rapanui[a 79].
Katherine rencontre les habitants de Hanga Roa et les interroge au sujet des moai et des ahu (socle) sur lesquels ils se tenaient autrefois. Elle rend ensuite visite aux anciens de la colonie de lépreux au nord de Hanga Roa et enregistre diverses légendes et histoires orales[2],[a 80]. Ils lui apprennent les rituels d'initiation des filles et garçons qui organisent certains rangs sociaux. Chacun de ces rites partaient depuis le site d'Orongo, et précisément depuis le Moaï Hoa Hakananai'a. Ces rites cessent lorsqu'il est emporté par les anglais[a 80].
Ses liens avec les rapanui s'améliorent drastiquement lorsque William Scoresby doit partir au Chili en décembre 1914. En effet, elle renforce sa collaboration avec Juan Tepano qui la met en relation avec l'ensemble des Rapa Nui. leurs témoignages permettent d'affiner la compréhension de la culture locale menacée d'extinction[a 81]. Elle parvient également à identifier les liens généalogiques qui relient ces différentes familles et remontent à plusieurs clans[a 82]. Cependant, ces témoignages s'accompagnent de contrepartie si bien que Katherine réalise qu'avec le temps, plusieurs anciens se contentent de dire ce qu'elle veut entendre afin de recevoir leur part de la rémunération prévue[a 83]. Elle retranscrit notamment des récits de cannibalisme ainsi que la compréhension, par les locaux, que des enjeux écologiques sont à l'origine du culte de Tangata Manu[a 84].

Elle rencontre également la cheffe religieuse Angata au plus fort de sa rébellion visant à gagner l'indépendance du Chili et établir un culte catholique se mêlant aux cultes Rapa Nui. Elle tente de dissuader la « prophétesse », comme elle l'appelait, ainsi que son peuple, de poursuivre leurs raids et de tuer le bétail de l'île[a 85]. Cependant, elle soutient leur désir d'indépendance et fournit, notamment, une de ses robes afin qu'ils puissent fabriquer leur drapeau à afficher à l'arrivée de la marine chilienne[8].
Le contexte géopolitique de la première Guerre mondiale finissent par affecter l'expédition qui s'interrompt. Ils quittent l'île en août 1915 et rentrent via Pitcairn et San Francisco avant de finalement retrouver Southampton le 25 juin 1916[3]. Le 31 décembre 1917, elle publie dans la revue Folk-Lore Th Bird Cult of Easter Island et y dépeint le culte de tangata manu[9]. En 1919, elle publie The Mystery of Easter Island[3],[10] dans lequel elle présente quelques réponses aux questions initialement posées lors du lancement de l'expédition, donnant lieu au récit de base des origines du peuple Rapa Nui, toujours accepté aujourd'hui[4].
Qualité des recherches
Critiques
La richesse familiale dans laquelle baigne Katherine a des conséquences directes sur les moyens disponibles pour engager des recherches, ainsi que sur la perception qu'en font les scientifiques contemporains. En effet, les époux sont surtout considérés comme de riches aventuriers effectuant cela par amusement et ne mettant pas la priorité sur les intérêts scientifiques[a 86].
Ses recherches concernant la langue rongorongo ont moins de succès bien qu'il s'agisse d'un des objectifs principaux de l'expédition[a 87].
Documents et patrimoine retrouvés

Durant le séjour mortel de Katherine au sein d'un établissement psychiatrique, William parvient à retrouver de nombreux documents qu'il transmets à la Royal Geographical Society[4]. Cependant, il faut attendre 1961, soit dix ans après la mort de William Scoresby, pour retrouver d'autres documents dans une à Chypre[11],[12]. En effet, Eve Dray Stewart, la femme de James Stewart (archéologue) (en) et fille de Tom Dray, un ancien partenaire commercial de William, y découvre de nombreuses cartes de l'expédition réalisées par Katherine ainsi que des films négatifs de l'expédition. William Scoresby avait vécu dans cette maison après la mort de sa femme, sans transmettre ces documents qui représentent le travail que Katherine lègue à la postérité[4].
Des centaines d'objets qu'elle et son mari trouvent sont préservés au Pitt Rivers Museum et au British Museum[13]. Du fait de la disparité des documents légués, il faut attendre 1987 pour que le journal de bord de l'expédition Mana soit étudié[4].
Au total, le travail de Katherine Routledge compile les descriptions et carte détaillées de plus de 500 moais situés sur la côte de l'île, dans la carrière et au pied du volcan Rano Raraku. Seules 105 photographies se trouvaient dans le livre, la découverte du fonds d'archive à Chypre est venu compléter cela[3],[5].
Avancées ethnologiques

En se focalisant sur la récolte de données ethnographiques, Katherine parvient à préserver de nombreux récits, notamment celui de Hotu Matua, du culte de Tangata manu, les noms et territoires des clans et des données sur l'énigmatique écriture rongorongo ; Van Tilburg lui attribue un rôle primordial dans la préservation de la culture polynésienne indigène de Rapa Nui[a 88].
L'une de ses découvertes est la continuité culturelle entre les sculpteurs de statues et le peuple polynésien Rapa Nui résidant sur l'île à son époque ; les motifs gravés sur le dos des statues qu'elle a fouillées comprenaient les mêmes motifs tatoués sur le dos et le postérieur des insulaires âgés de la léproserie de l'île. Comme la tradition du tatouage est supprimée par les missionnaires dans les années 1860, cette preuve primaire n'existe plus lors des expéditions ultérieures, sauf à travers ses archives[3],[7]. Plus tard, Katherine envoie son livre à Juan Tepano. La redécouverte, par les Pascuans, des précédentes formes d'art au travers des nombreuses illustrations donne un nouveau souffle à l'art de la statuaire en bois[14].

Dans The Mystery of Easter Island, Katherine renforce la théorie du suicide écologique tout en apportant des réponses sur les origines des Rapa Nui. Elle fait remonter l'origine des premiers peuplements aux polynésiens de Mangareva qui auraient peuplé l'Île de Pâques. Sur base de sa récolte de données ethnographiques, elle suggère que les statues sont des figures ancestrales, et les habitants des descendants des sculpteurs. Elle reviendra plus tard sur son interprétation sous la pression d'autres chercheurs. Cependant, le temps démontre que sa première version semble exacte. L'esquisse de l'histoire des Rapa Nui dessinée par Katherine est aujourd'hui largement acceptée[4].
Dans son journal de bord se trouve la plus ancienne version du chant rituel du tangata manu, un chant dont la signification est perdu. Cette version est restée longtemps inaccessibles aux chercheurs car les documents ne refont surface qu'en 1975. Malheureusement, déjà en 1914, le sens général du texte est incompréhensible et les habitants de l'île ne donnent la signification que de certains termes individuels. Ce document réapparait après les récoltes effectuées par Thomas Sylvester Barthel et Alfred Métraux, ce qui donne un éclairage sur certains passages problématiques[15].
Compréhension des Moai

Sur plus de 500 sites de Moai identifiés, Katherine note l'existence de plusieurs Moaï isolés et éloignés des voies de transports. Convaincue qu'ils forment des repères pour d'anciennes routes, elle approfondit ses recherches. Durant son séjour, elle identifie la première voie se dirigeant depuis le volcan vers le sud-ouest. Elle établit sur cette base plusieurs cartes qui prennent en compte les dénominations territoriales fournies par les habitants de l'île[16].
Les cartes territoriales proposées par Katherine permettent également une avancée dans la compréhension des délimitations territoriales. En effet, le positionnement de plusieurs statues moai coïncide avec les délimitations territoriales et les dénominations fournies par la tradition orale qu'elle a collecté. Elle établit également le classement en trois types de moai : en formation, en route, en poste. Encore aujourd'hui, ces conclusions concordent. Cependant, Christopher Stevenson suggère que ces délimitations n'apparaissent qu'après le contact avec les Européens, au XVIe siècle[17],[16]. De plus, les observations effectuées par Thor Heyerdahl refusent cette hypothèse et avancent que les statues situées sur la voies de transports peuvent y avoir été simplement abandonnée durant leur transport et jamais érigées[16].
Sans pouvoir déterminer précisément le rôle des Moaï, un témoignage récolté par Katherine inspire une nouvelle théorie sur leur transport : « [au sujet des statues] Selon un autre récit, cité par un visiteur avant notre jour, ils marchaient, et certains tombaient en chemin ». En 2011, Terry Hunt et Carl Lipo vérifient ce récit et démontrent que le déplacement est possible avec la « technique du frigo »[18],[19].
Santé mentale
Au cours de sa petite enfance, Routledge développe ce que l'on considère aujourd'hui comme une schizophrénie paranoïaque. Cependant, elle parvient à mener des recherches anthropologiques sans aucun signe de cette maladie. Son frère, Harold Pease, souffre également de maladie mentale, même s'il n'est pas clair s'il souffrait également de schizophrénie[3]. Cependant, la crise qu'il traverse en 1894 fait gravement décliner la santé mentale de Katherine qui traverse plusieurs épisodes dépressifs accompagnés d'hallucinations auditives. Elle rejoint d'ailleurs son frère à l'hôpital de Charleton cette même année bien que la famille Pease en parle comme d'une visite de courtoisie. Les lettres et journaux de Katherine permettent de confirmer un séjour de quelques semaines[a 89].
Les découvertes de Jo Anne Van Tilburg lèvent le voile sur la réalité de la santé mentale de Katherine, atteinte de schizophrénie. Sur base d'une lettre suggérant une forme de censure, elle parvient à accéder à des documents privés de la famille remettant en cause la pertinence du travail de Katherine. « J'ai failli renoncer à sa biographie, craignant qu'elle ne discrédite son travail sur le terrain. Au lieu de cela, j'ai découvert qu'à Rapa Nui, Katherine entendait rarement ses "voix". Ce fait me guide dans l'utilisation de ses notes de terrain dans mon propre travail et devrait encourager d'autres chercheurs »[4].
Commémoration
En 1995, une exposition commémore le 80e anniversaire de l'expédition Mana et les contributions de Kathrine Scoresby Routledge. L'exposition est réalisée en collaboration avec le British Museum sur base d'une sélection de trente photographies réalisées à la lanterne magique durant l'expédition. Une exposition complémentaire, en espagnol est montée en annexe. L'inauguration a lieu le 26 janvier 1995[20].
En 2021, Emilie Dotte-Sarout soumet un projet de recherche visant à revaloriser le travail des archéologues féminines du XIXe siècle et du XXe siècle qui ont travaillé dans l'Océan Pacifique. Elle les considère comme des Pacific Matilda en référence à l'Effet Matilda et identifie en premier lieu Katherine Routledge dont la postérité du travail et la qualité d'archéologiste pionnière doit attendre les analyses de Jo Anne Van Tilburg en 2003 pour être reconnue et redécouverte[21].
Publications
- (en) W. S. Routledge et Katherine Routledge, With a Prehistoric People: The Akikuyu of British East Africa, Psychology Press, 1968 (1910) (ISBN 978-0-7146-1716-9, lire en ligne)
- Scoresby Routledge et Katherine Routledge, « The Bird Cult of Easter Island », Folklore, vol. 28, no 4, , p. 337–355 (ISSN 0015-587X, lire en ligne, consulté le )
- (en) Katherine Routledge, The Mystery of Easter Island, Adventures Unlimited Press, 1998 (1919) (ISBN 978-0-932813-48-0, lire en ligne)
Notes et références
Note
- Mention honorifique correspondant à une évaluation entre 60 et 70%.
Traduction
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu des articles intitulés en anglais « Katherine Routledge » (voir la liste des auteurs) et « Mana Expedition to Easter Island » (voir la liste des auteurs).
Références bibliographiques
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Autres références
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Bibliographie
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- [Larson 2021] (en) Frances Larson, Undreamed Shores: The Hidden Heroines of British Anthropology, Granta Publications, (ISBN 978-1-78378-333-5, lire en ligne).
Voir également
Liens externes
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