Croisière

Une croisière est un voyage à titre principalement récréatif effectué en bateau. Dans sa forme la plus simple, une croisière se définit comme une navigation de loisir à bord d'un navire, comprenant au moins une nuit à bord et, dans la grande majorité des cas, la visite de deux à cinq ports d'escale[1].

Costa Concordia en escale.

Cette forme de tourisme connaît à compter de la fin du XXe siècle un important développement qui voit les navires de croisière devenir de vastes paquebots.

Par extension, le terme croisière est aussi utilisé pour d'autres moyens de transport comme le chemin de fer (Croisière ferroviaire sur le Transsibérien) ou pour des raids automobiles (croisière jaune, croisière noire et croisière blanche d'André Citroën).

Historique

Historiquement le terme croisière désignait la navigation de surveillance et/ou d'intimidation effectuée par un ou plusieurs navires de guerre, souvent des frégates, le long d'une côte, ou entre deux ports déterminés ou dans un détroit sensible.

Dès 1818, la Black Ball Line de New York, est la première compagnie de transport maritime à offrir un service de transit régulier aux passagers entre les États-Unis et l’Angleterre[2]. A partir de 1830, l'apparition des navires à vapeur conduit à l'apparition de grandes compagnies transocéaniques britanniques (dont la British and North American Royal Mail Steam Packet, plus tard Cunard Line)[2].

Le concept de croisière touristique est inventé en 1844 par P&O, compagnie maritime qui organise le premier voyage d’agrément en bateau avec escales entre l’Angleterre et l’Égypte, transportant 37 passagers de première classe et 16 passagers de seconde classe[3]. Dans les années 1870, des lignes transatlantiques se développent entre l’Europe et les États-Unis. Les grandes compagnies comme les britanniques P&O, White Star Line, Cunard Line ou encore la française Transat, alors symbole de luxe et de prestige, deviennent célèbres. À la fin du XIXe siècle, se développent les secondes et troisièmes classes, qui permettent à des gens peu aisés, souvent candidats à l'émigration, de s'offrir la traversée[4]. Cet essor est appuyé par le développement des premières formes de tourisme. Ainsi le British Medical Journal reconnaissait en 1880 la valeur curative des voyages en mer et encourage à participer à des traverses de l’Atlantique[2].

L’arrivée de l’aviation civile avec ses avions à réaction entraîne l’accélération de la mobilité et la disparition des lignes de croisière au long cours comme les liaisons transatlantiques[1]. La croisière se transforme donc à partir des années 1970, s’attardant au divertissement des passagers, non plus entre deux points, mais en multipliant les escales de découvertes[5]. Le concept qui en résulte transforme le navire en destination de vacances : c’est la naissance de la croisière maritime moderne[2]. C’est notamment le destin du France, paquebot emblématique des débuts de la Ve République, racheté en 1979 par un armateur norvégien qui lui trouve son modèle économique en assurant des croisières en mer des Caraïbes, avec un nombre bien plus important de passagers, différentes escales et un équipage réduit[6].

Industrie mondiale de la croisière

Modèle économique

Le modèle économique repose sur le forfait du billet (généralement l’hébergement, la restauration « de base » et un panel d’activités sportives, ludiques ou culturelles gratuites) qui couvre les charges d'exploitation[7], les compagnies réalisant des bénéfices sur la consommation « hors forfait » des passagers à bord[6]. Ce business model repose sur le concept de « faire du navire une destination en soi, au point de rendre secondaires les escales. D’où l’évolution récente des paquebots eux-mêmes avec la généralisation des cabines avec balcon, la disparition progressive des cabines aveugles (bientôt ouvertes sur un atrium central à l’air libre), le soin apporté à la qualité des espaces et à la décoration, et la diversification de l’offre de restauration[6] ». Il repose aussi sur la multiplication des activités à bord (toboggans aquatiques, mur d’escalade, salles de spectacles, casino, spa, espace de remise en forme, mini-golf, salle de sport, patinoire etc.)[6].

En 2020, le croisiériste moyen dépensait environ 214 dollars par jour, soit environ 1 714 dollars pour une croisière de huit jours[8]. Sur ce montant, 62$ par jour (ou 497 $ pour une croisière de huit jours) sont dépensés à bord, environ la moitié dans les casinos et les bars, et environ un cinquième pour des excursions à terre.

Évolution des navires

Le modèle économique des croisières a plusieurs conséquences : les armateurs proposent des prix d'appel attractifs afin de maximiser le taux de remplissage et générer d'importantes économies d'échelle . Les compagnies sont engagées depuis plusieurs années dans une course au gigantisme des navires de croisière. Au milieu des années 2000, la capacité moyenne des navires était de 2000 passagers, aujourd’hui les navires les plus gros ont une capacité d'environ 7000 passagers[9]. La recherche de bateaux plus gros est motivée par 3 facteurs[9]:

  • la recherche d'une nouvelle demande de passagers, les navires plus grands permettent d'ajouter une variété d'activités et de services et d'élargir les segments de clientèle (groupes sociaux et d'âge ciblés).
  • Capter des revenus par les billets, par l’augmentation et la variété des services et des activités offerts sur les navires.
  • Les économies d'échelle, telles que la réduction des coûts totaux moyens en répartissant les coûts fixes sur plusieurs passagers supplémentaires.

Par ailleurs le secteur de la croisière a adopté une stratégie de concentration du marché, les trois principaux opérateurs se partagent 85 % du marché mondial en 2017 : Carnival Corporation & PLC, Royal Caribbean International et Star Cruises)[10].

D'autres, avec des navires plus petits, diversifient leur offre dans des produits de niche (croisières polaires organisées par le Ponant ou Hurtigruten, croisières culturelles et thématiques, par exemple autour de la musique, de la gastronomie ou de l’œnologie ; croisières destinées aux clientèles professionnelles pour des voyages de travail  séminaires, team building  ou d’affaires  lancements de produits, convention avec des sous-traitants )[11].

Le naufrage du Costa Concordia le , soulève de nombreuses interrogations sur cette course au gigantisme, notamment en matière de sécurité (problème de l'évacuation, du niveau des assurances et réassurances)[12].

Croissance de 1980 à 2019

Le secteur des croisières a connu une croissance significative (6-7 % par an, contre 4,1 % pour le secteur du tourisme)[13] au cours des trois dernières décennies, approchant la barre des 30 millions de dollars en 2019[14]. Le secteur de la croisière est très concentré, avec trois groupes basés à Miami qui représentent 72,3 % de la capacité mondiale de croisière, transportent 75 % des passagers du secteur et génèrent 71 % des revenus mondiaux de la croisière[1].

L’industrie mondiale de la croisière et le tourisme de masse commencent dans les Caraïbes dans les années 1980. La destination, alors lancée par quelques armateurs, notamment norvégiens (tel que Knut Kloster (de) qui crée la Norwegian Cruise Line)[6], répond aux standards des trois S du tourisme de masse (Sea, Sand and Sun, « Mer, Sable et Soleil »)[13].

Selon l'Association Internationale des compagnies de Croisières (en) (CLIA) qui compile les statistique sur le nombre de passagers à partir de 1980, l'industrie mondiale de la croisière draine 1,4 million de croisiéristes en 1980, ce marché atteignant 6,3 millions de voyageurs en 1995, 15 millions en 2010[15],[16] et 29.7 millions en 2019[14]. Plus de la moitié des croisiéristes viennent des États-Unis et du Canada, suivis par les marchés européens (25 % du total des passagers). Un tiers de la capacité totale de croisière est déployée dans la région des Caraïbes, suivie par la Méditerranée (environ 17 %)[14]. La production économique totale du secteur des croisières (c'est-à-dire les bénéfices directs, indirects et induits) est estimée à environ 150 milliards de dollars, employant 1,17 million de salariés en équivalent temps plein (ETP)[1]. Pourtant, les croisières représentent encore une proportion relativement faible du tourisme mondial, soit environ 10 % des arrivées, 3 % de la contribution économique totale et 1 % de l'emploi[9].

Alors que la crise financière mondiale de 2008-2009 a eu un effet majeur sur le transport maritime de marchandises, la croisière et les ports ont continué à enregistrer une hausse constante du nombre de passagers. Toutefois, après la crise financière de 2008-09, les taux de croissance ont été relativement inférieurs à ceux des années 1990 et de la première moitié des années 2000[17].Il n'y a pas eu de stagnation, même lorsque, en 2012, l'échouage du Costa Concordia a suscité une image négative.

Crise de la Covid_19

En 2020 la crise sanitaire du Covid-19 marque un coup d'arrêt dans l'activité des compagnies de croisières, interrompant totalement leurs activités partout dans le monde pendant plusieurs mois, remettant largement en cause leurs programmes de développement et d'investissement, et les obligeant même à se défaire prématurément des navires les plus anciens : ainsi, le groupe Carnival prévoit de réduire sa flotte de six navires – Costa Croisières annule tout le programme des voyages prévus pour le Costa Victoria, qui est vendu pour être démantelé ; il en est de même pour une filiale de Royal Carribean, Pullmantur qui dépose son bilan en et envoie à la casse deux de ses paquebots, Sovereign et Monarch.

La fréquentation chute à 5,8 millions de passagers en 2020 et 4,8 en 2021. Elle remonte ensuite à 20,4 millions en 2022[14].

Rebond post-crise

Les projections indiquent que la fréquentation de 2023 dépassera celle record de 2019 pour atteindre plus de 30 millions de croisiéristes[14]. Le marché asiatique connait la plus forte croissance ces dernières années. L'augmentation est principalement due aux croisiéristes chinois, qui dépassent tous les marchés asiatiques réunis[9]. L'Asie devient rapidement une région qui équivaut presque à la Méditerranée en ce qui concerne le déploiement de la capacité de transport de passagers.

Impact environnemental et sanitaire

Malgré des progrès techniques et certains programmes de surveillance, les croisières ont un impact environnemental et sanitaire très important. Elles sont une source majeure de pollution de l'air, de l'eau (douce et marine) et de la terre affectant des habitats, des zones et des espèces fragiles[18]. L'intensité de la pollution atmosphérique due à la combustion des carburants dépend de l'activité des navires: navire en pleine mer, en manœuvre ou à quai. Ces émissions sont cependant toujours composées de NOx (oxydes d'azote), SOx (oxydes de soufre), COx, O3 et de particules en suspension. La contribution globale des émissions des navires (transport de passagers et de marchandises) est estimée à 15 % pour les NOx et 9 % et pour le SO2[19]. En Méditerranée, les émissions de CO2 des navires de croisière et des navires à passagers représentent jusqu'à 10 % de l'ensemble des émissions des navires[20] , ce qui fait de la croisière le plus gros contributeur de CO2 dans le secteur du tourisme[21]. À titre d'exemple, les passagers d'une croisière en Antarctique peuvent produire autant d'émissions pendant leur voyage (la durée moyenne d'une croisière en 2007 était de 7,1 jours) qu'un Européen moyen en une année[22]. Compte tenu de l'effet local de la pollution atmosphérique associée à la navigation maritime, une étude de 2014 portant sur la mer Adriatique préconise de s'inquiéter de l'effet préjudiciable que les navires de croisière amarrés pourraient avoir sur les ports d'accueil[23].

Dans l'Union Européenne les dommages annuels directs causés à la santé humaine par les émissions atmosphériques du transport maritime ont été estimées à 200 milliards d'euros[24].

Sur-tourisme et aménagement

Au-delà de la soutenabilité environnementale, des critiques remettent en question la contribution économique du tourisme de croisière aux communautés côtières locales, en particulier lorsqu'on la compare à d'autres formes de tourisme [25] et qu'on la met en regard des coûts associés et des externalités correspondantes[26]. Ainsi les croisières nécessitent des aménagements et des infrastructures spécifiques dans les ports d’excursion pour accueillir les navires[27].Les croisiéristes contribuent souvent de manière significative à la surpopulation des attractions touristiques en mettant à rude épreuve les infrastructures des destinations d'escale[1].

Notes et références

  1. Alexis Papathanassis, « Cruise Tourism », dans Encyclopedia of Tourism Management and Marketing, Edward Elgar Publishing, (ISBN 978-1-80037-748-6, DOI 10.4337/9781800377486.cruise.tourism, lire en ligne), p. 687–690
  2. Alain A. Grenier, « Le tourisme de croisière », Téoros. Revue de recherche en tourisme, vol. 27, no 2, , p. 36–48 (ISSN 0712-8657, lire en ligne, consulté le )
  3. (en) David Howarth, Stephen Howarth, The story of P&O, The Peninsular and Oriental Steam Navigation Company, George Weidenfeld & Nicolson limited, , p. 47.
  4. Éric Barré, Mers et marins en France d'autrefois, Archives et culture, , p. 116.
  5. Olivier Dehoorne et Nathalie Petit-Charles, « Tourisme de croisière et industrie de la croisière », Études caribéennes, no 18, (ISSN 1779-0980, DOI 10.4000/etudescaribeennes.5623, lire en ligne, consulté le )
  6. Patrice Duny, « La croisière maritime : un produit touristique spécifique », Act’Urba, no 15, , p. 4 (lire en ligne).
  7. Grâce à la massification des achats, le coût total des repas est, par exemple à bord du Costa Mediterranea, de 5,50 € par jour, par passager. Cf Benoît Berthelot, « Ce que cachent les croisières "tout inclus" », sur capital.fr, .
  8. (en-US) « Financial Breakdown of Typical Cruiser | Cruise Market Watch » (consulté le )
  9. (en) Theo Notteboom, Athanasios Pallis et Jean-Paul Rodrigue, Port Economics, Management and Policy, Routledge, (ISBN 978-0-429-31818-4, DOI 10.4324/9780429318184, lire en ligne), « Chapter 1.5 – Ports and Cruise Shipping »
  10. Patrice Duny, « La croisière maritime : un produit touristique spécifique », Act’Urba, no 15, , p. 4 et 5.
  11. Patrice Duny, « La croisière maritime : un produit touristique spécifique », Act’Urba, no 15, , p. 6 et 9.
  12. Céline Eymery, « Paquebots géants : trop hauts, trop gros, trop dangereux ? », sur tourmag.com, .
  13. Nicolas Escach, Géographie des mers et des océans, Dunod, (lire en ligne), p. 346.
  14. (en) Cruise Lines International Association (CLIA), « State of the Cruise Industry Outlook, », sur www.cruising.org,
  15. Frédéric Therin, « Les croisières, un succès fou depuis les années 1980 », sur lexpress.fr, .
  16. [PDF] Perspectives de l’Industrie de la Croisière : une évolution continue de la croisière stimule la croissance de l’industrie
  17. Athanasios A. Pallis et Aimilia A. Papachristou, « Cruise Industry », dans International Encyclopedia of Transportation, Elsevier, (ISBN 978-0-08-102672-4, lire en ligne), p. 593–599
  18. Josep Lloret, Arnau Carreño, Hrvoje Carić et Joan San, « Environmental and human health impacts of cruise tourism: A review », Marine Pollution Bulletin, vol. 173, , p. 112979 (ISSN 0025-326X, DOI 10.1016/j.marpolbul.2021.112979, lire en ligne, consulté le )
  19. Veronika Eyring, Ivar S. A. Isaksen, Terje Berntsen et William J. Collins, « Transport impacts on atmosphere and climate: Shipping », Atmospheric Environment, transport Impacts on Atmosphere and Climate: The ATTICA Assessment Report, vol. 44, no 37, , p. 4735–4771 (ISSN 1352-2310, DOI 10.1016/j.atmosenv.2009.04.059, lire en ligne, consulté le )
  20. (en) J. Faber, A. Markowska, D. Nelissen et M. Davidson, « Technical support for European action to reducing Greenhouse Gas Emissions from international maritime transport », CE Delft, (lire en ligne, consulté le )
  21. Bas Amelung et Machiel Lamers, « Estimating the Greenhouse Gas Emissions from Antarctic Tourism », Tourism in Marine Environments, vol. 4, nos 2-3, , p. 121–133 (DOI 10.3727/154427307784772020, lire en ligne, consulté le )
  22. (en) Eke Eijgelaar, Carla Thaper et Paul Peeters, « Antarctic cruise tourism: the paradoxes of ambassadorship, “last chance tourism” and greenhouse gas emissions », Journal of Sustainable Tourism, vol. 18, no 3, , p. 337–354 (ISSN 0966-9582 et 1747-7646, DOI 10.1080/09669581003653534, lire en ligne, consulté le )
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  27. Patrice Ballester, « Les nouvelles logiques spatiales du port de Barcelone : tourisme de croisière, aménagement et paysage », Études caribéennes, no 18, (ISSN 1779-0980, DOI 10.4000/etudescaribeennes.5154, lire en ligne, consulté le )

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